PACIFIQUE | Dessins Jean Marc Segay | Panama – Les îles Perlas – décembre 1993 à début mars 1994 Marie-Thé - Nous nous dirigeons vers Panama, la prochaine escale, la tête pleine de belles images colorées de ces indiens Cuna. J'avoue que j'aurais aimé m'attarder un peu plus longtemps sur ces îles, approfondir les coutumes de ces femmes indiennes si attachantes, mais peut-être était-ce aller vers quelques désillusions. Les rencontres éphémères apportent une intensité d'émotions que l'on emporte intactes dans son cœur. L'heure n'est plus à la plongée, à la musique ni à la rigolade. Nous souhaiterions passer le canal avant la fin de l'année et prévoyons quelques journées de tracasseries administratives et d'heures d'angoisses. | Un îlot des San Blas |
Quitter le paradis pour l'enfer, c'est ce que nous ressentons en naviguant sous la pluie, dans des eaux grises, tumultueuses, en direction du port de Colon. Nous débordons d'impressionnants paquebots à l'ancre pour nous diriger vers le "flat" (mouillage dévolu aux voiliers en attente de passage). Nous venons d'apprendre, ce matin, par la radio, la mort de Frank Zappa, ce musicien mythique des années soixante dix, et en hommage au disparu, les inoubliables Cheik Yerbouti et Oncle Meat sortent à plein décibels des hauts-parleurs de notre bateau pendant une bonne partie de la journée. Colon "le trou du cul du monde" est une ville absolument immonde. Les immeubles délabrés sont recouverts d'épaisses taches noires de moisissures, les vitres sont absentes des fenêtres d'où pendouillent une quantité incroyable de vêtements fripés. Des tas d'immondices souillent les trottoirs et exhalent des odeurs de putréfaction entretenues par la chaleur intense et particulièrement humide. La ville est réputée être l'une des plus dangereuses du monde. Aurait-t-elle hérité cette triste renommée des longues années de construction du canal, qui avaient attiré un lot considérable d'aventuriers sans scrupules ? Certains navigateurs américains nous ont fait d'énormes recommandations quant aux manières sécurisantes de se déplacer en ville : éviter de longer les trottoirs près des porches, ne pas porter de sacs en bandoulière, ne pas porter de bijoux, etc… Il est vrai que les hommes miséreux qui traînent par groupes dans les rues n'ont rien de bien rassurant. Nous nous sentons des cibles "en puissance", sommes mal à l'aise et toujours sur le qui-vive. Nous prenons vite contact avec l'administration américaine du canal. Nous sommes surpris de sa parfaite organisation : en peu de temps, nous obtenons le premier rendez-vous pour le "mesurement" du bateau et les divers renseignements nécessaires à son équipement spécial pour le passage. L'administration exige sur chaque voilier, la présence d'un pilote assermenté fourni par ses services, du capitaine du bateau et de quatre équipiers aptes à régler promptement les amarres au cours des différentes manœuvres. Certains panaméens louent leurs services contre rétribution mais en général les plaisanciers s'entraident. Nous louons au Yacht-Club de Colon les quatre aussières de quarante cinq mètres demandées et fabriquons des pare-battages supplémentaires avec de vieux pneus emmaillotés dans d'épais sacs poubelles noirs. Nous sommes prêts bien avant la date prévue. Robert et Michel sont sollicités pour le passage de Gypsy , un bateau américain. Ils bénéficieront ainsi d'une utile répétition. Pendant ce temps, Nicole et moi, nous occupons de l'approvisionnement alimentaire. Les supermarchés sont bien achalandés avec une grande majorité de produits américains à des prix intéressants. Nous nous déplaçons toujours en taxi évitant toute appréhension du passage dans les rues de Colon . Robert et Nicole qui devaient traverser avant nous, prétextent des ennuis de moteur pour repousser leur date de passage. Après plusieurs jours de sombres embrouillaminis, il est décidé que nous passerons le canal, les premiers, en compagnie de Robert et des deux équipiers du bateau américain. Ensuite, Michel repassera une dernière fois avec Orphée. Michel - 20 décembre 1993 : On nous a demandé d'être prêts pour cinq heures trente. Le pilote n'arrive qu'à six heures quinze. C'est à une vitesse de plus de six nœuds que Fabulite s'échappe de l'enfer en direction du canal. Lorsque les énormes portes de la première écluse se referment lentement, il se passe quelque chose de confus en nous, comme une sensation de non-retour, un éloignement infini des nôtres. Ce n'est plus une page que l'on tourne mais la fin d'un long chapitre. Intenses mais brèves émotions, car toute notre attention est aussitôt requise dans les manœuvres de mises à couple d'un remorqueur, avant que les éclusiers libèrent le flux de millions de litres d'eau dans le sas. Un énorme cargo chinois Ming Courage nous précède et ses hélices, cependant au ralenti, brassent beaucoup d'eau juste devant nous. Nous passons les trois premières écluses montantes. Nous traversons le lac Gatun. Vers douze heures trente, nous atteignons les écluses de Pedro Miguel. Le pilote reçoit des ordres par radio et nous demande d'accélérer car nous devons cette fois-ci nous positionner dans la prochaine écluse devant le colossal Ming Courage. Nous accélérons au mieux et sommes déjà dans l'écluse lorsque arrive un contrordre de "Panama Control", en relation permanente par radio avec le jeune pilote. Le cargo est trop gros et le déplacement d'eau risque de nous brasser trop fort dans le sas. Je ne suis pas très content, j' amorce un demi-tour spectaculaire dans l'écluse et rase maintenant les immenses murs d'acier du cargo. Nous devons retourner jusqu'à Gamboa, à plus de sept milles en arrière, afin d'y passer la nuit. Le pilote nous quitte rapidement. Marie-Thé - Avec ce demi-tour forcé s'envolent mes dernières espérances, le passage du canal en une seule journée m'aurait évité d'avoir cinq personnes à coucher sur notre petit bateau. Soirée cosmopolite sur Fabulite puisque Robert est belge, Lane américain, Jane, sa compagne, colombienne, nous-mêmes français et les spaghetti bolognaises. Je viens de vivre une journée particulièrement épuisante. Entre les différentes manœuvres d'amarrage, j'ai dû faire l'hôtesse : - avez-vous faim ? avez-vous soif ? désirez-vous quelque chose ? vous ne manquez de rien ? Si mes tâches s'étaient limitées là, mais j'ai dû remplir dans le même temps le rôle ingrat de dame-pipi. Tous les plaisanciers connaissent bien le problème des toilettes de bateau et j'ai dû plus d'une fois, au cours de la journée intervenir pour nettoyer, éponger, évacuer un début d'engorgement. J'avais pourtant pris mes précautions en expliquant correctement à chacun le mode d'emploi…. Jane, dans la soirée, m'avouera, doucereuse, qu'elle était constipée et qu'elle avait pris un lavement ! Lane propose de dormir sur le pont, je case les autres tant bien que mal : Princess Jane, toute seule dans la cabine arrière, Robert dans la couchette avant, Michel et moi sur les banquettes du carré. Sur le matin, Robert me réveille : - tu ronfles, Marie-Thé, un moment après, Michel à Robert : - tu ronfles Robert et encore un peu plus tard, comme je n'ai pas pu me rendormir c'est à mon tour de dire à Michel : - tu ronfles ! Durant la deuxième journée , mon capitaine est parfait dans ses manœuvres en empruntant les écluses descendantes. En sortant de la dernière écluse , Fabulite se met à partir dans tous les sens et Michel doit pousser à fond le régime du moteur. Ces courants bizarres seraient dûs à la différence de salinité des eaux. Nous apercevons déjà le grand pont qui relie les deux Amériques. Nous sommes dans le Pacifique ! Il y a des voiliers Qui font parfois un long voyage N'ayant à leur bord Que deux amants pour équipage S. Castel Pacifique - 22 mars 1994 à fin mai 1996
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Marie-Thé – Nous venons de quitter Manta. Régine et Nina avaient confectionné, en grand secret, un sac à provisions en grosse toile au logo de la voilerie familiale. Petite Nina était toute heureuse de nous offrir ce présent, elle n'en pouvait plus de tenir sa langue ! Régine et François ne traversent pas maintenant, ils comptent s'attarder un peu plus en Equateur et descendre le long des côtes du Chili... Peut-être les reverrons-nous en Polynésie où ils comptent s'installer ? Nous sommes contents de reprendre la mer. Ces derniers jours ont été pénibles. Il a fallu courir dans les administrations, consulter un avocat pour la déclaration de vol du moteur, déclarer en France le vol de la carte visa, une succession de démarches ennuyeuses dont nous nous serions bien passés juste au moment du départ. Nous nous éloignons doucement de la côte. Fabulite avance d'un élan souple et régulier. Le vent est de face mais ne dépasse pas les dix nœuds. Nous passons une partie de la journée à nous réadapter à la vie en mer, retrouver notre équilibre dans les mouvements du bateau. Chaque objet doit reprendre sa place bien déterminée sous peine de se muer en projectile lors d'un prochain coup de tabac. En fin d'après-midi, juste après le coucher du soleil, nous apercevons au loin de nombreux bateaux de pêche formant un immense arc de cercle face à nous. C'est assez impressionnant tous ces bâtiments noirs dans l'horizon rougeoyant. Plus nous avançons et plus l'arc se rétrécit semblant vouloir nous emprisonner. Peut-être encore trop sous l'emprise de ma récente agression, une angoisse inhabituelle m'envahit. Et si ces bateaux de pêche nous fonçaient dessus et nous attaquaient ? - Michel, j'ai la trouille, les pêcheurs…. Il hausse les épaules, scrute la flotte, et pour me rassurer : - Eh bien , ce sont des pêcheurs…. - Tu ne crois pas qu'ils veulent nous aborder ? - Arrête ton cinoche Marie-Thé, tu lis trop de récits de pirates ! ++++++++ Les feux des bateaux brillent maintenant dans le crépuscule. L'angoisse monte d'un cran. Nous avançons toujours dans le demi-cercle qu'ils dessinent devant nous. J'observe en catimini vers l'arrière pour épier si l'arc n'est pas en train de se refermer en un piège circulaire. En nous rapprochant, l'espace entre chaque embarcation nous apparaît enfin bien suffisant pour le passage de notre bateau. Nous traversons la flotte sans le moindre incident. Michel descend se coucher alors que je prends le premier quart de veille jusqu'à dix heures. La nuit est maintenant très noire, les feux des bateaux de pêche ne sont plus que de minuscules lucioles au loin derrière nous, mais je guette attentivement, pendant toute ma veille, leur lente disparition, à peine rassurée. Michel – J'entreprends cette traversée avec beaucoup de sérénité et sans angoisse particulière. Ces trois années passées à sillonner la mer des Caraïbes nous ont apporté une assurance dont nous manquions au début du voyage. Nous n'avons plus grand-chose à nous prouver. Nous avons essuyé de sales coups mais nous nous en sommes sortis sans d'importante avarie. Si la mer et le vent déchaînés nous ont valu quelques frayeurs, Fabulite ne nous a jamais fait peur et s'est toujours comportée en bon bateau. Au fil des milles parcourus, nous lui accordons une confiance grandissante. Cette nouvelle assurance ne nous fait cependant pas oublier la prudence. Nous connaissons mieux les dangers latents dont nous n'avions pas toujours conscience, par manque d'expérience et apportons une attention permanente à la sécurité. Depuis hier nous naviguons en direction du sud-ouest pour aller chercher les alizés. Nous sommes dans cette zone appelée "pot-au-noir" qui s'étend sur quelques degrés de latitude, de part et d'autre de l'équateur. Les vents y sont complètement absents. Nous n'avons parcouru que quatre vingt milles en vingt quatre heures, pas de quoi se vanter, si on pense aux trois mille trois cents milles restant à parcourir. 24 mars 1994 – 2ème jour de mer - 7 H 40 – Position : 1° 39' 79 Sud – 83° 12' 41 W - Vent S.S.W 10 nœuds – près bon plein – vitesse : 4,5 noeuds sur G.P.S. – navigation en dent de scie luttant contre courant pour faire du SW – essayons de faire cap sur les Galapagos. Michel Nous n'avions pas prévu une escale aux îles Galapagos, mais puisque les vents ont l'air de vouloir nous y emmener, laissons-nous porter. !Evidemment, nous allons encore, une fois de plus, nous trouver dans l'illégalité. Nous aurions dû demander une autorisation en Equateur et payer une bonne centaine de dollars pour obtenir un court permis de séjour. En évitant les îles trop fréquentées, nous pourrons certainement profiter quelques jours d'un mouillage sauvage. Notre point à dix heures nous positionne à trois cent soixante quatorze milles de l'île Española , l'une des deux petites îles au sud de l'archipel. Les nuits sont fraîches et nous devons ressortir pantalons, vestes de quart et chaussettes durant nos heures de veille. 27 mars – 5ème jour de mer. Nous sommes à vingt et un milles des Galapagos que nous n'apercevons toujours pas. Nous venons de passer trois jours de très belles navigations. Peu de vent, ce qui nous a permis de tangonner le "reacher" (voile de petit temps en tissu léger faisant office de spi) Nous devrions normalement arriver avant la nuit qui tombe vers dix huit heures trente. Depuis le petit jour, une légère bruine nous couvre d'humidité. Comme je n'ai aucune information sur les mouillages de l'île, je ressors quelques bouquins de nos prédécesseurs, qui ont connu la belle époque de navigation libre aux Galapagos. J'obtiens des renseignements dans un des tomes de "Trismus" de Patrick Van God. Il décrit un mouillage entre des cailloux et une petite plage sur l'île Española. Ma carte très peu détaillée ne me signale pas de haut-fond particulier dans la zone. Terre ! Nous apercevons l'île qui émerge lentement de la brume lointaine. Nous en sommes à dix milles. Vers quinze heures, la bruine cesse, laissant place à une visibilité toute relative. De belles mouettes blanches volent autour du bateau et semblent nous souhaiter la bienvenue, une tortue nage tranquillement se laissant porter par la grande houle de sud-est. Vers dix sept heures, en approche, nous repérons bien le mouillage décrit par Van God, l'îlot rocheux, la plage. Le soleil couchant dans les yeux ne nous permet pas d'identifier d'étranges masses sombres : rochers ? bateaux de charters ? Non, ce gris bien particulier, pas de doute : ce sont des bateaux militaires. Les îles interdites sont bien gardées ! +++++++ Marie-Thé - Nous venons d'avoir quelques jours de mauvais temps, des grains successifs, une mer formée, puis une baisse de vent, et un ciel bouché ne laissant présager rien de bien folichon. Nous râlons : Pacifique pacifique ??? Depuis ce matin nous avons un mal fou à stabiliser le bateau. Après de multiples essais de voiles, changement de pilote, nous n'obtenons pas de résultat valable. Une houle résiduelle nous ballotte de bâbord à tribord et vice-versa, et c'est très inconfortable. En milieu d'après-midi, Michel m'appelle pour l'aider à détangonner le génois. C'est une manœuvre assez délicate sur notre petit bateau. L'avant du pont est en grande partie occupé par notre annexe retournée que nous ne dégonflons pas pour les navigations. Michel doit donc faire de l'escalade lors des manœuvres, à l'avant du bateau. Le tangon est long, lourd et peu maniable . Nous effectuons toujours la manœuvre à deux. La manœuvre terminée, nous transportons le tangon sur le côté gauche du bateau. Michel se prépare à l'arrimer pour qu'il ne roule pas sur le pont. Je rejoins le cockpit lorsque j'entends un cri. Michel, d'un coup de roulis, vient d'être projeté à l'extérieur du bateau . D'une seule main, il se maintient encore à la filière. En quelques secondes, tout tourne très vite dans ma tête : descendre, GPS, appuyer sur fonction "homme à la mer" prendre le cap inverse…. toutes les recommandations que Michel m'a maintes fois enseignées… Mais avant de descendre actionner les boutons du GPS, mon instinct me pousse d'abord vers lui qui essaie de remonter sans succès. Je lui crie : " ne lâche pas " J'essaie de lui saisir une jambe et la tire à moi de toutes mes forces aidée en cela par le roulis qui, cette fois-ci, le ramène vers tribord. Il est projeté sur le pont à plat ventre, se relève, l'angoisse a disparu de ses yeux bleus qui me regardent rieurs. J'exhale un profond soupir, puis mes nerfs craquent, je me mets à trembler, j'éclate en sanglots, je pleure, je crie, j'évacue toute la frayeur que je n'ai pu exprimer dans le feu de l'action. Michel me console, les choses se sont passées tellement vite qu'il n'a pas eu le temps d'avoir peur, me dit-il. Il promet qu'il s'attachera désormais pour toutes les manœuvres, même par petit temps. Par gros temps, nous nous attachons toujours, c'est un réflexe, mais par petit temps, nous sommes tellement à l'aise, que nous négligeons souvent de nous assurer au bateau… Cette nuit-là, pendant mon quart de veille, je jette par dessus bord, un petit paquet de lettres jaunies, la correspondance amoureuse de notre jeunesse…. Conjuration du sort ? Superstition ? Offrande ?…. Mon geste accompli, je reste à méditer….. Comme j'aimerais me fondre, après ma mort à cet élément liquide pour l'éternité. 11 avril 1994 – 20ème jour de mer. Nous sommes à mille cent cinquante sept milles de Hiva Oa – Nous avons accompli à peu près les deux tiers de la route. Nous arrosons l'évènement en buvant un ti'punch. Cet après-midi, nous avons jeté en mer une bouteille contenant un message par 8° 16 S et 117° 09 W. Finira-t-elle sa course sur une côte battue par le vent ? Restera-t-elle ballottée des millions d'années par les courants du Pacifique ? 16 avril 1994 – 25ème jour de mer – 7 h : génois détangonné – envoyons le reacher qui s'enroule autour de l'étai – il faut l'envoyer sous la grand-voile – 6 nœuds de vent – avançons à 3 nœuds – Position à 8 H 30 Latitude 9°53' S – Longitude 128° 14' W – encore 639 milles avant d' atteindre Hiva Oa. Au contact radio de l'après-midi, Willy nous fait part de son arrivée sur Fatu Hiva. Il a mis exactement vingt quatre jours et sept heures C'est lui le gagnant de la "course". Il est parti après nous, il arrive avant nous….C'est aussi lui qui possède le plus gros bateau ! Les conditions en mer sont devenues tellement agréables que nous n'avons pas envie d'utiliser le moteur pour arriver plus vite. Nous avons suffisamment d'eau, de vivres, alors nous prenons patience et profitons pleinement de ces journées de petit temps. C'est si rare. 19 avril 1994 – 28ème jour de mer - position 9° 28' S – 132° 30' W – Vent faiblissant – Réparation du moteur du pilote automatique (les charbons sont très usés) – le nouveau pilote Navico ne tient pas la route – Marie-Thé - Nous passons d'excellentes journées en mer. C'est comme à la maison ! Sauf que notre maison avance, un peu trop doucement peut-être, mais c'est tellement confortable. La navigation astronomique est délaissée au profit d'une navigation "gastronomique". Il m'est beaucoup plus agréable de réfléchir à la confection de bons petits plats que d'aligner des chiffres. D'ailleurs, la boîte magique du G.P.S exécute en quelques secondes ces calculs ennuyeux ! Ce matin, je n'ai pas été réveillée par l'habituelle odeur de tartine grillée mais par la musique des fanfares de Haute-Saône, diffusée à plein volume. La gaieté règne à bord. Nous n'avons jamais été aussi bien en mer. LE BONHEUR ! Pour amuser mon capitaine, je fais le pitre. Je prends un très fort accent franc-comtois et lui débite des niaiseries, genre : "Oh la Marrie- Thérrrèse, elle a toujourrrs été un peu folle ! Elle pis son p'tit frrrangin. Fallait les voirrr ! Les parrrents ont eu bien d'soucis avec eux. ! et encorrre maintenant, j'vous d'mande un peu, elle est parrrtie surrr les merrrs, qu'ont m'a dit ! c'est bien une folle ! les pauvrrres parrrents ! doivent se fairrre ben du souci !" Vendredi 22 avril - 31ème jour de mer – Nous faisons un grand ménage à bord, une grande toilette à l'eau de mer. Michel m'applique un shampoing colorant. La couleur est belle !…. Tout doit briller pour l'arrivée. Il règne une grande effervescence à bord de Fabulite. Nous délirons, nous n'avons jamais raconté autant de conneries. Nous pensons à Moitessier, notre maître à tous et à l'état psychique dans lequel il a dû se trouver après son tour et demi du monde sans escale ! Onze heures du soir – Terre ! La lune, à moitié pleine, nous éclaire suffisamment pour nous laisser deviner au loin, dans la nuit, les hauts sommets de l'île. Nous sommes encore à plus de quarante milles de l'arrivée. Nous mettons le moteur, il n'y a plus un souffle de vent. Samedi 23 avril 1994 – 32ème jour de mer. Nous avons passé toute la nuit au moteur. Au petit jour, nous avons atteint la pointe de l'île que nous longeons maintenant pour trouver la baie de Tao-Ku ou baie des traîtres. Sur la gauche , un petit îlot, devant nous l'île de Tahuata et sur la droite, les sommets très déchiquetés de la majestueuse île d'Hiva Oa. Décor imposant : on a l'impression d'avoir devant les yeux une carte postale géante. De la végétation, des arbres, de l'herbe, DU VERT, DU VERT, DU VERT ! Après trente deux jours de mer, nos yeux recherchent avidement cette couleur. Sur fond musical du Boléro de Ravel, Michel enregistre une cassette audio de notre arrivée. L'excitation lui rend la parole aisée, il n'arrête pas de remercier et l'équipage, et Fabulite et le pilote automatique et les voiles et la cuisinière…et…et…et…. UN VRAI DELIRE……. A dix heures, Fabulite , maintenue par deux ancres, une à l'avant, une à l'arrière, s'immobilise dans la baie de Tao-Ku , devant le village d'Atuona. ++++++ Les pirogues s'en vont les pirogues s'en viennent Et mes souvenirs deviennent ce que les vieux en font Veux-tu que je te dise gémir n'est pas de mise Aux Marquises J.Brel ++++++++++ La météo annonce un tsunami (raz-de-marée dû à un choc tellurique) et nous devons quitter rapidement Rarotonga. De Rarotonga a Vava'u (îles Tonga) : 850 milles 4 octobre 1994 - 13 H 30 – départ – Vent 10-12 nœuds de S.W. – Près serré – Mer belle + houle. 15 H 30 – vent tournant S.S.W – Grosse houle de S.W. Marie-Thé – Nous voilà partis pour huit longs jours de navigation. Depuis que nous sommes dans le Pacifique, nous avons l'impression de naviguer, de naviguer encore, de naviguer toujours sans jamais profiter de longues escales de repos. A peine avons-nous pris quelques repères dans un endroit agréable où il ferait bon s'attarder, que le calendrier des périodes favorables dans ces zones cycloniques, est là pour nous rappeler à l'ordre. 11 octobre : Ce matin nous étions le onze octobre, cet après-midi nous sommes le douze octobre. Nous venons de passer le méridien de longitude cent quatre vingt degrés. Nous avons fait la moitié du tour de la terre ! Désormais nous allons chaque jour, sans nous en rendre compte, nous rapprocher un peu plus de notre point de départ. Nous essayons d'effacer de nos esprits cette impression de retour, prête à imprégner le reste du voyage d'un goût d'amertume Dans les derniers milles d'approche des îles Tonga, nous slalomons à travers une multitude de petits îlots aux rochers débordant d'une intense végétation. Nous apercevons au loin une baleine et son baleineau, évoluant en de gracieux bonds hors de l'eau. Hélas nous sommes un peu loin pour prendre une photo. Chaque année, les baleines à bosse remontent de l'Antarctique et de juin à novembre profitent des eaux chaudes des îles Tonga pour mettre bas et assister leurs petits dans les premiers mois. Nous nous amarrons à un quai pour le temps des formalités d'entrée. Comme à l'accoutumée, c'est le défilé, à bord, des représentants des différents services : Agriculture, Santé, Douanes, Immigration. On nous confisque nos derniers produits frais, usage hérité du protectorat anglais qui a géré ces îles jusqu'en 1976. Nous allons ensuite nous amarrer à une bouée de mouillage dans la partie de la baie dévolue aux bateaux de voyage. Une société américaine a installé ici une base proposant à la location, une dizaine de petits voiliers, avec ou sans skipper, dans cette zone du Pacifique très propice à la navigation de plaisance. Un rangement rapide du bateau, une courte sieste, et nous voici déjà dans l'annexe, curieux d'aller découvrir Neiafu, le village de cette île dont nous ne connaissions même pas l'existence, il y a quelques années. Les rues sont toutes rectilignes, selon le modèle anglo-saxon. Le vent qui souffle ce jour-là, soulève des nuages de terre ocre apportant une impression de grande sécheresse. Nous entrons dans quelques échoppes aux murs de bois peints de couleurs vives, achalandées principalement de produits néo-zélandais. Le village se réveille peu à peu de cette fin de sieste. Les rues s'animent doucement. La plupart des hommes portent une jupe droite de gabardine noire ou bleu foncé sur une chemise noire ou blanche. Les femmes âgées sont vêtues d'une longue robe noire de taffetas ajustée, à la mode de 1900 et s'abritent du soleil sous une jolie ombrelle. Hommes et femmes ont la taille enserrée d'une bande plus ou moins large de feuilles tressées, rappel du costume traditionnel de leurs ancêtres. Nous visitons le fournil de la boulangerie qui date du début du siècle dernier. Les fours sont chauffés au bois, les murs recouverts d'une suie centenaire. Tout l'appareillage est très rudimentaire, la vente a lieu dans le fournil même et nous ressortons avec de beaux pains complets des plus appétissants. Les écoliers maintenant égaient les rues de leurs uniformes colorés : un paréo orange pour les filles, vert pour les garçons, sur une chemisette d'un blanc immaculé. Sur la plage, plusieurs hommes nous accostent et nous remettent des petits papiers publicitaires, écrits à la main, annonçant l'organisation de repas festifs dans tel ou tel îlot, en fin de semaine. Nous passons plusieurs jours à nous déplacer de mouillages en mouillages dans de jolies petites baies, aux minuscules plages de sable blanc. Malgré la vingtaine de voiliers qui naviguent dans la zone, nous profitons chacun d'un isolement appréciable. Nous convenons à la radio d'un rassemblement de la "flottille" pour la fin de la semaine au mouillage de Lisa Beach sur l'îlot Maungaui pour participer au repas organisé par le village. Une vingtaine de bateaux arrivent en début d'après-midi dans la baie. Vers dix-sept heures, une cinquantaine de personnes de diverses nationalités se trouvent réunies sur la plage. La famille organisatrice de la soirée nous accueille, sollicite un don pour l'école du village et nous invite à prendre place pour le repas. Les mets sont disposés à même le sol sur le "pola", une large bande composée de feuilles de bananiers et de cocotiers. Au menu, poisson cru, langouste, poulpe, poulet, cochon de lait à la broche, papaye au lait de coco, manioc, patates douces, nouilles chinoises, pastèque, le tout admirablement présenté dans de petits plats, à la portée de chaque convive. Tous les mets cuits ont été préparés dans le traditionnel four polynésien dénommé ici "umu". Nous nous asseyons en tailleur et dégustons ces délices avec nos doigts. A la tombée du jour, les hommes allument des flambeaux dans des vieilles boîtes de conserve. Des jeunes filles du village "ficelées" dans un paréo rigide d'écorces tressées, le "tapa" se préparent à la danse traditionnelle, le "lakalaka". Elles s'enduisent le corps d'huile et commencent une danse nonchalante où seuls les bras et les jambes sont en légers mouvements. Puis un homme du village se lève et va coller un billet d'un dollar sur le bras huileux d'une des danseuses, invitant les autres hommes de l'assistance à l'imiter. Les américains se prêtent volontiers au jeu et les bras sont vite couverts de billets verts ! La danse traditionnelle terminée, les jeunes danseuses viennent chercher des cavaliers parmi les étrangers et tout le village se met à danser dans la bonne humeur. Les femmes ont une façon très particulière d'aborder leurs cavaliers. Elles arrivent très rapidement devant les hommes, leur sautent littéralement aux hanches, entourant leur taille de leurs jambes croisées, puis elles retombent en souplesse sur le sol et dansent alors avec leur cavalier. Pascal subit l'assaut d'une belle grand-mère et nous fait une telle démonstration de danse, que, malicieusement je glisse, dans son pantalon, un billet d'un dollar, récupéré presque aussitôt par la main avide de la grand-mère….. Avant de nous quitter, les tongans nous recommandent d'assister à la messe du village le lendemain, suivie d'un dernier repas gratuit "des restes" sur la plage. Le dimanche à onze heures, nous grimpons, nombreux, dans un camion débâché et parcourons quelques kilomètres d'un chemin boueux à peine carrossable. Nous quittons tous nos chaussures avant d'entrer dans l'église protestante. Durant une bonne partie de l'office, de magnifiques chants s'élèvent , dominés par les voix des hommes, une qualité de chant exceptionnelle qui n'a rien à envier à nos chœurs d'opéra européens. A la fin de la messe, les tongans nous demandent notre avis sur la cérémonie et sont très fiers de notre enthousiasme pour leurs chants. +++++++++++++ La Nouvelle Zélande - 30 novembre 1994 au 29 avril 1995 Michel - Ce pays aux antipodes de la France nous offre le plus bel accueil. Un accueil de marins ! La voile, ici, on connaît ! Les formalités d'entrée se font rapidement, dans la bonne humeur. Nous avons maintenant l'habitude qu'à chaque arrivée dans un nouveau pays, nos derniers produits frais prennent la direction d'un grand sac poubelle, alors nous agissons en conséquence….Après le traditionnel "Welcome to New Zealand" les autorités nous invitent le soir même, au barbecue hebdomadaire du Yacht-Club d'Opua. Tous les mercredis après-midi, les "voileux" se retrouvent dans la "Baie of Islands" pour une petite régate de quelques heures. En fin d'après-midi, les bateaux rejoignent leurs amarres et les équipages se retrouvent au Yacht-Club, à vider quelques chopes de bière. L'ambiance monte vite parmi ces rudes marins aux gosiers particulièrement assoiffés. Les néo-zélandais font beaucoup d'efforts pour nous parler lentement, distinctement et n'hésitent pas à répéter plusieurs fois leurs phrases. Un premier bon contact s'établit grandissant au fur et à mesure que les chopes se vident puis se remplissent à nouveau. Les barbecues grillent de larges steaks agréables à dévorer après notre carence alimentaire des derniers jours. Nous venons pour la plupart de pays lointains et ces gens savent apprécier "en marins" la performance accomplie pour parvenir jusque-là. Le groupe des "Joyeux Naufragés" est maintenant au complet. Willy et Sonja, les grands vainqueurs de cette "descente vers les quarantièmes" offrent une tournée générale. Le temps reste maussade pendant quelques jours, froid, crachin, brouillard le matin. L'heure n'est plus au naturisme, nous ressortons du fond des coffres des vêtements chauds, des chaussures fermées… Nous prenons même la précaution d'enfiler pantalons et vestes de cirés lors de nos trajets en annexe pour rejoindre la terre. La température de l'eau n'affiche plus que dix sept degrés Celsius ! Après le vingt et un décembre, l'été austral s'installe, le temps devient plus clément sans toutefois atteindre les degrés des chaleurs tropicales auxquelles nous étions habitués depuis quelques années. Nous fêtons Noël en organisant un grand pique-nique, en bordure de mer, dans la cour désaffectée d'un vieil atelier. Nous décorons les lieux avec les moyens du bord : guirlandes de papier-toilette et de sacs poubelles. Chacun prépare un plat ou un dessert. Evangéliste s'affaire à cuire des grillades sur deux barbecues de fortune. La guitare et les cahiers de chanson prennent un bol d'air et pour honorer nos cousins du Québec, nous entonnons des refrains de Plume La Traverse, Félix Leclerc, Charlebois, avant de continuer par Brassens, Brel, Eddy Mitchell et tous les autres. Nous restons encore quelque temps à visiter tous les mouillages de cette magnifique baie des îles : Russel, Pahia, des merveilles de petits villages aux jardins débordant de fleurs. Nous faisons de belles promenades dans la campagne. Nous escaladons les rochers et ramassons de grands seaux de moules vertes. Les plus courageux, Pascal et Willy plongent et nous ramènent, des fonds sableux, des coquilles Saint-Jacques en abondance. LA VIE EST BELLE ++++++++++++ Bienvenue Le livre Grand Largue avant propos Atlantique extraits Asie extraits Indien Mer Rouge extraits Album Atlantique photos départ et Caraîbes photos Venezuela Album Pacifique photos Pacifique Album Indien photos Indien la route le bateau 40000milles Tout pour votre commande nous écrire Pacifique (extraits)
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